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We Move Together avec Catherine

Consultez ici la retranscription complète du podcast de Catherine Stubbe, responsable des ressources humaines chez Handicap International en Belgique, qui nous parle de son expérience en tant qu'ex-directrice de Handicap International en Haïti et de l'impact positif que peuvent avoir des actions de plaidoyer internationales à l'échelle locale.

 

 

Junior : Bonjour.

 

Catherine : Bonjour Junior.

 

Junior : Pourrais-tu te présenter en quelques mots et surtout, nous parler un peu de ton parcours chez Handicap International et de ta fonction aujourd’hui ?

 

Catherine : Je m’appelle Catherine Stubbe et je travaille pour Handicap International depuis juin 2012. Quand j’ai rejoint l’organisation, c’était pour partir directement en expatriation. Donc je suis partie 4 ans au Congo, où j’étais basée à Kinshasa. Et puis je suis partie en Haïti pendant 3 ans, où j’étais basée à Port-au-Prince. Depuis presque trois ans maintenant, je suis revenue en Belgique et j’occupe le poste de responsable des ressources humaines pour le siège en Belgique.

 

Junior : Oh waouh, nice. Et au Congo, tu y as fait quoi ?

 

Catherine : Alors au Congo, j’étais directrice de programme, au bureau de la capitale. Mais on avait des projets à Kananga, à Goma également, et à Kinshasa on intervenait plutôt dans les communes extérieures de la ville.

 

Junior : Ok, à Port aux Princes c’était à peu près la même chose aussi je suppose ?

 

Catherine : Effectivement, on avait des activités à la capitale, Port-au-Prince, on était aussi présents au Cap Haïtien, dans le Nord, à Bombardopolis, au Nord-Ouest, et au Sud aussi, à Jacmel.

 

Junior : De quoi est-ce que tu aimerais nous parler aujourd’hui ? Est-ce que tu aurais un exemple concret de projet sur lequel tu t’es beaucoup investie et qui t’as marquée ?

 

Catherine : Alors, moi j’ai eu la chance – pendant mes deux longues expériences de terrain chez Handicap International – de travailler sur des projets de réadaptation. C’est vraiment le cœur du métier de Handicap International et l’historique du mouvement aussi. Aujourd’hui, j’ai envie de parler d’un projet de réadaptation qui a eu lieu en Haïti, et plus spécifiquement d’un projet de plaidoyer. Même s’il y avait, bien sûr, d’autres projets en plus de celui-là (on était présents dans différents hôpitaux et dans différents départements de Port-au-Prince).

On s’est engagés, en 2016, à organiser une grande conférence qu’on appelle un Symposium, sur la réadaptation. L’objectif était de réaliser, avec l’Organisation Mondiale de la Santé, une enquête nationale dont l’objectif était de faire un état des lieux, au niveau national, de la situation de la réadaptation.

Il y avait plusieurs volets : l’état des lieux des services de base (les soins de santé en réadaptation), l’état des lieux des techniciens en réadaptation (recenser les kinés, les orthoprothésistes, etc. présents dans le pays), et l’état des lieux de la capacité de réponse du pays dans le domaine de la réadaptation. A travers cette enquête, on peut aussi montrer si l’accès aux soins de santé est optimal, ou pas, pour les bénéficiaires, s’il y a des améliorations à faire. Généralement, après une enquête de cette dimension-là, les Ministères concernés (on parle surtout du Ministère de la Santé), sont censés faire un plan d’action et adopter un plan national de réadaptation, pour offrir les soins nécessaires à la population qui en a besoin.

 

Junior : Je pense que c’est quand même important de souligner aussi que ce Symposium a rencontré quelques problèmes d’annulation, comme tu me le disais avant cet enregistrement.

 

Catherine : Oui, effectivement. On a mis trois ans à organiser cette grande conférence, parce que la situation était un peu perturbée en Haïti. C’est une conférence « magistrale », c’est pour ça qu’on appelle ça un « Symposium », dans le sens où l’objectif, pour nous, était de réunir tous les représentants des départements de Haïti dans la capitale, pour donner aussi la voix aux provinces reculées qui sont souvent oubliées. L’idée était de ne pas avoir uniquement une vision « capitale » de la situation de la réadaptation dans le pays.

Pourquoi est-ce que ça a pris du temps ? Parce que Haïti a connu, et connait encore aujourd’hui, des gros moments d’insécurité. Il y a parfois ce qu’on appelle en créole le « Pays-Lock ». Ça veut dire que le pays est bouclé, et on ne peut plus sortir, ni entrer. En raison de la dégradation des conditions sécuritaires, on a connu trois ou quatre fois ces « Pays-Locks », chaque fois juste avant que la conférence ne s’organise…

Je suis arrivée en août 2016, et en janvier 2017, il avait aussi les élections. Ce qui veut dire que toutes les négociations qui avaient été commencées avec le Ministre de la Santé quand je suis arrivée ont dû reprendre à zéro.

Ça impliquait aussi d’avoir pas mal de flexibilité. Par exemple, un représentant de l’OMS était basé à Panama et venait à la conférence pour donner le point de vue de l’OMS, les recommandations, etc. Dans ce cas-là, on devait chaque fois réorganiser son voyage et son intervention. On avait aussi un consultant qui, lui, était basé à Madagascar et pour qui c’était le même problème... En ce qui concerne les premières personnes concernées, les haïtiens, les techniciens, les kinés, les directeurs d’hôpitaux, ou encore les responsables de centres de réadaptation privés, il fallait envoyer des équipes de chauffeurs pour aller les prévenir de l’annulation. Il y avait des problèmes de connexion énormes en Haïti. On ne pouvait pas juste envoyer un email ou téléphoner, non. On devait envoyer nos chauffeurs pour annuler la conférence, et puis les renvoyer encore une fois pour ré-envoyer toutes les invitations et reprogrammer l’événement. On a eu trois ou quatre annulations comme ça, donc finalement, ça nous a pris presque trois ans pour organiser cette conférence, mais on y est arrivé !

 

Junior : Justement, j’allais le dire, au final vous l’avez fait.

 

Catherine : Oui.

 

Junior : Je pense que c’est vraiment important de noter ça. Et, en quoi est-ce que ce type d’action distingue Handicap International des autres organisations humanitaires ?

 

Catherine : Je pense qu’on est une organisation qui, au travers des actions qu’on mène, essaie d’être active dans le plaidoyer. On a la proximité avec les personnes bénéficiaires, la population ; ce qui permet de remonter les problèmes à un premier niveau. Ensuite, dans les différentes actions que Handicap International peut mener, on essaie aussi de travailler au plus haut niveau, au niveau des politiques de santé. Ce qui demande des grosses actions de plaidoyer.

En l’occurrence, en Haïti, les politiques de santé ne prévoyaient pas d’actions spécifiques par rapport à la réadaptation. La réadaptation, finalement, n’a été connue en Haïti que le lendemain du tremblement de terre de 2010. Avec l’effondrement des bâtiments, des maisons, etc. il y a eu énormément de blessés, énormément d’amputés. C’est tout une partie de la population qui était invisible avant le tremblement de terre qui, au lendemain de la catastrophe, était au premier plan et avait besoin de soins appropriés.

Depuis ce moment-là, des techniciens haïtiens ont été formés à la réadaptation (soit en Haïti, soit à l’extérieur du pays, comme à Cuba, en Jamaïque, aux Etats-Unis, etc.). Donc en terme de personnes formées et en mesure de prodiguer des soins, les techniciens sont là. Mais même après cette urgence de 2010, malgré le fait qu’il y ait eu une énorme réponse humanitaire et une prise de conscience de l’importance de l’accès aux soins de réadaptation, les services de soins de santé font défaut. Encore aujourd’hui.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est important d’essayer d’agir au niveau politique aussi, et pas seulement en première ligne, au premier niveau. Une enquête comme celle qu’on a réalisée en 2019, au niveau national, permet de constater qu’il y a vraiment « un trou dans la raquette » en ce qui concerne les politiques de santé, et qu’il est important d’inscrire la réadaptation dans les soins de santé de base. C’est peut-être ça qui nous distingue des autres organisations humanitaires.

 

Junior : Et en parlant de cette enquête, quels étaient les résultats de cette enquête ? Et surtout, quels impacts sur les haïtiens finalement ?

 

Catherine : Alors, premièrement, l’enquête a démontré qu’il y avait des départements, en Haïti, où il n’y avait pas de service de réadaptation. Ça veut dire que toute une partie de la population, si elle veut recevoir des soins appropriés, est obligée de se déplacer jusque la capitale, ce qui est impossible.

Deuxièmement, l’enquête a montré que le coût des soins de santé sont exorbitants puisque dans la plupart des cas, les soins de réadaptation sont apportés par des entreprises privées, où il n’y a pas de système de tarification des coûts. Ces soins sont inabordables pour la plupart des haïtiens qui vivent avec 1$ par jour. C’est donc aussi cette exclusion d’accès à des soins appropriés qui a été mise lumière.

Troisièmement, ça a aussi montré que Haïti comptait, dans sa population, des professionnels de la santé compétents et qui peuvent également apporter ces soins de réadaptation. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’avoir des professionnels étrangers qui interviennent en Haïti, parce que il y a déjà des techniciens haïtiens qui s’y trouvent.

D'ailleurs, ça fait aussi partie des interventions qu’on mène dans différents pays : on soutient les associations locales, nationales. En Haïti, il y a « l’association nationale de techniciens orthoprothésistes ». Il y a aussi une plateforme qui regroupe tous les kinés et ergothérapeutes de Haïti. Pour leur redonner leur place, on a donc organisé le Symposium avec eux. Ils intervenaient et présentaient les résultats de l’enquête à leur gouvernement, en lui posant aussi ces questions : « Sur base des résultats de cette enquête, que comptez-vous faire ? Quelle sera la prochaine étape ? Quel budget sera dédié à ces soins ? ». L’objectif étant d’inscrire la réadaptation dans les politiques de santé, et aussi d’y accorder un budget, parce que la réadaptation coûte cher.

 

Junior : Très cher. Et un plan d’action aussi je suppose ?

 

Catherine : Et un plan d’action concret. Mettre une école sur pied aussi, puisqu’aujourd’hui les techniciens se forment à l’étranger et pas en Haïti. Il n’y a pas d’école de kinésithérapie ou d’orthoprothésie qui permette de diplômer les haïtiens dans ce domaine. Ils doivent sortir du pays, aller étudier dans la région des Caraïbes, aux Etats-Unis ou en Amérique latine, et puis revenir travailler au pays.

 

Junior : Quel est le message que tu voudrais faire passer aujourd’hui à nos auditeurs ?

 

Catherine : J’ai envie de dire plusieurs choses :

1) On connait Haïti uniquement au travers de son tremblement de terre. Moi, j’ai découvert un pays, 10 ans après, où j’ai trouvé une population et des personnes extrêmement engagées dans la société civile. Ça c’est une chose qu’on voit peu si on ne s’intéresse pas ou si on n’est pas allé en Haïti.

2) J’ai été agréablement surprise par le niveau de technicité des professionnels haïtiens.

3) Malheureusement, et ça, ce n’est pas propre à Haïti : Haïti fait partie de ces pays où un nombre incroyable de personnes vulnérables n’ont pas un accès universel aux services de santé. Et ça, c’est aussi une chose que nous on défend chez Handicap International, c’est de pouvoir garantir, offrir un accès universel aux soins de santé pour tous, en particulier aux soins de réadaptation.

 

Junior : Je pense que l’accès aux soins de santé est quelque chose à souligner, la réadaptation pour tous, c’est très important et j’encourage tous nos auditeurs à s’engager pour, justement, rendre possible ce genre d’actions. Un grand merci Catherine Stubbe.

 

Catherine : Merci à toi, Junior.

 

Junior : Et je te souhaite une très bonne journée.

 

Catherine : Merci.