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We Move Together avec Eric

Consultez ici la retranscription complète du podcast d'Eric Weerts, spécialiste de la réadaptation d'urgence chez Handicap International. Eric nous explique l’importance de la prévention du handicap en contexte d’urgence, en parlant de l’histoire d’Ayan, un jeune combattant syrien devenu paraplégique.

 

 

Junior : Eric Weerts bonjour.

 

Eric : Bonjour.

 

Junior : Qui es-tu et quel est ton parcours en quelques mots ?

 

Eric : Je suis kinésithérapeute et je travaille chez Handicap International depuis une trentaine d’années, déjà. J’ai commencé à travailler en Asie du Sud-Est, sur des programmes d’accueil pour les personnes réfugiées. Et notamment des personnes ayant souffert de blessures de guerre et de catastrophes naturelles aussi.

Depuis une dizaine d’années, je travaille maintenant au siège ici à Bruxelles où je suis, en partie à distance et sur le terrain, des programmes où il y a donc eu des conflits récents, des catastrophes naturelles aussi et où les personnes ont eu un handicap assez sévère suite à ces événements.

 

Junior : Et de quoi aimerais-tu nous parler aujourd’hui ?

 

Eric : Bon évidemment j’ai vu pas mal de personnes différentes dans ma vie. Si je mets des noms sur les personnes, ça peut être Wanglin, ça peut être Simona, ça peut être Jean, mais là je vais parler de Ayan.

Ayan était un jeune qui avait plus ou moins 16 ans, engagé politiquement, au Moyen-Orient, je ne vais pas être spécifique par rapport au pays. Il a reçu une balle dans la colonne lombaire. Il a perdu après la capacité d’utiliser ses jambes. Ce qui veut dire : ne plus pouvoir marcher, ne plus pouvoir ressentir le besoin d’aller à la toilette. Sa sensibilité aussi était atteinte au niveau de ses jambes. Il a été stabilisé médicalement rapidement par les équipes médicales, mais vu la situation politique assez difficile, il n’a pas pu reprendre une vie normale dans sa société puisqu’il était engagé politiquement. Alors on l’a hébergé après la décharge d’un hôpital dans une maison, une maison d’accueil, où il était ensemble avec d’autres personnes qui avaient un peu vécu les mêmes événements que lui.

Et nous, on l’a rencontré là, justement pour adresser d’abord les besoins en rééducation physique dans un premier temps. Etant donné qu’avec une perte de mobilité, une perte de sensibilité, il y a certains risques, comme des pertes de force musculaire assez sévères, pas seulement au niveau paralysé mais aussi au niveau qui n’est pas atteint, c’est-à-dire au niveau des bras. Il y a aussi un risque d’escarres de peau parce que, quand on perd la sensibilité, on peut avoir des blessures qui ne vont pas se sentir mais qui vont quand même avoir un impact d’infection sur le corps. Donc tout cet apprentissage devait commencer d’abord par une analyse de sa situation et de voir en quoi il est capable au maximum de récupérer et de retrouver une vie la plus normale possible, mais tout en restant réaliste avec lui. Et ça c’est justement important ce réalisme parce qu’on va passer à, pas seulement un accompagnement physique (exercices et apprentissages nouveaux), mais surtout à un accompagnement psychologique. Et ça c’est une étape très importante, parce que selon notre expérience chez Handicap International, on trouve que l’un ne va pas sans l’autre. Si on ne regarde que le côté physique des choses, on aura peut-être des résultats mais ils ne vont pas être utiles pour reconstruire la vie de la personne.

 

Junior : on parle bien d’un soutien psychosocial ?

 

Eric : C’est un soutien psychosocial qui dans un premier sens va dire, ben voilà, tu peux physiquement faire ce mouvement, mais nous on va aussi t’expliquer quelle sera la finalité de ce mouvement. Par rapport à ton entourage, par rapport à ce que tu veux faire, par rapport à trouver ton indépendance, parce que ce n’est pas toujours évident de se faire aider tous les jours pour tous les gestes de la vie (aller à la toilette, se laver) alors que, vu son âge, il était certainement en état de faire cela lui-même, parce qu’il a les capacités de le faire, c’est ce qu’on lui apprenait. Mais on lui disait aussi « tu peux choisir aussi ». Si un jour tu décides que « moi je veux que quelqu’un m’accompagne à la toilette tout le temps », tu peux le faire. Par contre, il y a aussi certainement des moments où tu veux le faire tout seul et bien tu as les capacités de le faire tout seul, et c’est ce que l’on va t’apprendre.

Donc là il commençait alors à gagner de la confiance dans ses propres capacités.

Au-delà, on a dû aussi lui expliquer pour lui, les effets pour lui et les résultats pour lui, mais il y a aussi son entourage, qu’est-ce que lui il a comme aspirations, qu’est-ce que lui il veut, comment il veut se projeter dans le futur. Et se projeter dans le futur, c’est les autres, c’est la famille, ce sont ses amis, ce sont des personnes avec lesquelles il ne pourra peut-être plus être aussi familier qu’avant et il devra peut-être trouver d’autres personnes qui vont devoir l’aider autour de lui, ou il va faire des rencontres futures. Et là notre travail était de le mettre de nouveau en lien avec sa famille parce que justement, comme je disais, le contexte politique faisait qu’il ne pouvait pas rentrer tout de suite chez lui. Et on a dû donc expliquer un peu à la famille sa nouvelle situation, ses nouvelles capacités… Et on a dû aussi parler avec lui l’accompagner et le préparer à se présenter de nouveau à sa famille, parce qu’il y a toujours un risque de surprotection. Ce qu’on connait, c’est que cela entrainerait qu’il aurait des capacités à faire des choses mais on ne les lui laisse pas faire. Et là il deviendrait alors beaucoup plus dépendant des autres et ce n’est pas le but de la rééducation et de cette idée de prévention.

Alors de ce fait là on a dû lui parler un petit peu des possibilités de « rééducation vocationnelles », comme on dit, comment il peut apprendre un métier. Comment on peut découvrir les capacités qu’il a perdues d’une part et les nouvelles qu’il devrait développer pour justement subvenir à ses besoins économiques, d’autre part.

 

Junior : Justement en parlant de cela, en quoi a consisté l’accompagnement de Ayan exactement ?

 

Eric : Cet accompagnement surtout psychosocial consistait à discuter beaucoup avec lui et de lui poser des questions sur ce qu’il voulait vraiment faire, donc par rapport à sa personne et pas par rapport à son handicap.

Et alors d’ajuster les idées, de dire tu veux mais bon ce serait irréaliste de jouer du football, on lui disait ben voilà non, le football ce ne sera pas possible, par contre un sport que tu voudrais faire dans le cadre d’un handicap, ben voilà ça c’est possible.

Même chose pour le côté professionnel. « Je veux être chauffeur de camion », et bien « non ce n’est pas possible puisque ta mobilité est perdue, par contre il y a d’autres métiers comme aiguilleur de camions où tu peux être derrière un ordinateur et justement diriger les gens, etc. Ça c’est possible. »

Donc c’est plutôt donner des conseils et des recommandations. C’est aussi pouvoir lui dire « écoute, si tu ne suis pas ces conseils, tu as toujours le choix. Par contre, si tu ne suis pas ces conseils, sur la prévention des escarres par exemple, tu peux avoir des escarres et cela va retarder toute cette reconstruction. « 

Tu peux choisir et dire « je ne veux pas de fauteuil roulant, je vais marcher ». Ce à quoi on répondrait que « même avec toute la science qu’on connait actuellement, on n’a pas encore trouvé de cure pour te soigner, donc la meilleure cure pour l’instant c’est de te concentrer sur ces capacités à utiliser ton fauteuil roulant, d’être indépendant, de pouvoir aller tout seul dans la communauté, demander de l’aide autour de toi, pour que les gens t’aident si jamais ça ne va pas. » On lui apprend à tomber de son fauteuil roulant lui-même et puis de se remonter lui-même dedans aussi, comme ça il est plus indépendant et résilient par rapport à des événements qui pourraient arriver autour de lui, que cela lui donne de la confiance. L’idée est d’expliquer cela aussi à son entourage et à sa famille bien sûr.

 

Junior : C’est important, et justement ce soutien psychosocial, est-il aussi prévu pour la famille et pour ses proches, pour ses amis éventuellement ?

 

Eric : C’était très important, d’abord comme je le disais, qu’il puisse l’expliquer lui-même à sa famille. On a dû aussi parler plus en particulier avec les membres de sa famille sur, justement, ses possibilités fonctionnelles, ses possibilités de futur, etc. Il y a des choses pour lesquelles où on disait aussi aux parents de ne pas être trop irréalistes. Et une question qui est très importante, c’est « est-ce qu’il peut se marier, est-ce qu’il peut créer une famille », et là aussi on dit « et bien non, mais dans son cas, tout comme il y a beaucoup de gens qui peuvent avoir une très bonne qualité de vie après, qui peuvent être heureux dans une famille, il peut se marier avec quelqu’un, il peut avoir des enfants, moyennant évidemment quelques conseils ou quelques pistes d’assistance ». Mais il peut aussi développer sa vie familiale comme toute autre personne, moyennant évidemment ces adaptations et ces compréhensions.

 

Junior : Cela nous ramène directement à la réinsertion. Ayan a-t-il réussi sa réinsertion dans la société pleinement ?

 

Eric : Au niveau de ses capacités, par rapport à la blessure qu’il avait et ses limites, il a pu les développer au maximum, grâce à cette étape de prévention. Le fait qu’on ait pu assister cela de deux côtés : du côté de sa famille et du côté personnel. Mais bien sûr il n’y a jamais une histoire qui finit merveilleusement bien lorsqu’on a un handicap aussi grave dans sa vie. Par contre, il a été en état pour lui-même de créer sa propre résilience. Et la dernière fois qu’on l’avait vu, il exprimait sa confiance dans le futur, dans le sens où il disait « je me rends compte que cela je ne sais pas le faire, je dois faire la part des choses par rapport à ça, par contre oui je me sens confiant si un jour on me présente une partenaire dans le cadre de ma famille, avec laquelle je pourrais peut-être construire une vie familiale, je me sens confiant pour approcher ça ». Ou alors « quand je vais maintenant sortir moi-même avec mon fauteuil roulant dehors, avant les gens avaient peur, enfin, ma famille avait peur parce qu’il fallait toujours m’accompagner et je ne me sentais jamais seul. Parce que j’ai envie parfois d’être seul et de rencontrer des gens moi-même. Alors que là je peux le faire parce que je leur ai montré que j’étais capable de le faire moi-même et que je peux tomber du fauteuil roulant et que je peux me relever de nouveau dedans. » Donc ça a besoin de temps.

 

Junior : Eric Weerts un grand merci et… force à Ayan

 

Eric : Merci.

 

Junior : Merci, bonne journée.