Aïda sent une tension glacée lui parcourir le dos. Son instinct lui hurle que ce n’est pas normal. Cette chose ne devrait pas être là. Sa première réaction est de reculer d’un pas, comme si le simple fait de s’éloigner pouvait annuler ce qu’elle vient de voir. Nier cette réalité. Mais elle ne peut pas juste… tourner le dos et continuer son chemin en ignorant ce pincement désagréable dans sa poitrine. Plein de pensées se bousculent en même temps dans sa tête, et aucune n’est vraiment rassurante.
Ses yeux restent fixés sur l’objet. Son cœur bat trop vite. Peut-être que ce n’est qu’un vieux bout de métal sans importance ? Non.
Et si son instinct disait vrai ? Si elle passait son chemin et que, demain, quelqu’un d’autre – un enfant jouant au foot, une vieille personne – marchait dessus ? Elle ne le pardonnerait pas, elle le savait.
Une boule d’angoisse lui serre la gorge. Elle hésite entre l’expulser en criant, et partir en courant. Elle finit par se décider pour quelque chose de plus prudent : se détourner et faire chemin arrière, lentement, en faisant très attention à marcher dans ses pas. C’est facile : la terre sèche a gardé ses empreintes. Ses traces ont l’air si petites, le chemin si long. Elle n’y arrivera jamais…
Mais elle y arrive.
Elle quitte le chemin, et rejoint la rue principale à grandes enjambées. Elle ne réfléchit plus. Elle doit en parler à quelqu’un. Évacuer cela de son esprit et parvenir à faire comprendre que ce n’était pas normal. Elle sait qu’elle a fait une erreur, à la base. Qu’elle n’aurait pas dû y aller… Mais elle ne peut pas être la seule enfant à passer outre le - Les ! - panneau. Et elle est certaine que ce n’est pas juste un déchet quelconque.
Elle repère un petit groupe d’adultes près d’un étal de légumes. Son regard se pose sur l’épicier du coin, un homme d’une cinquantaine d’années qu’elle connaît bien. Elle s’élance vers lui, le visage un peu pâle de sa découverte.
— Monsieur Karim !
L’homme relève la tête, visiblement surpris par l’urgence dans sa voix.
— Aïda ? Qu’est-ce qui se passe ?
Elle jette un coup d'œil autour d’elle, cherchant ses mots. Tout à coup, elle se sent idiote. Elle n’a aucune preuve. Juste une impression. Et si elle se trompait ? Si ce n’était rien du tout ? Non ! Elle est certaine qu’il y avait quelque chose, elle ne peut pas ignorer la sensation viscérale et la terreur qu’elle ressent encore en y repensant.
— Là-bas, souffle-t-elle en pointant la direction du chemin. J’ai vu… Il y a un panneau de danger, et au-delà un… un objet bizarre, en partie enterré. Ça ressemblait à… je sais pas… une boîte de conserve, peut-être…
Karim fronce les sourcils. Un silence s’installe, puis il essuie ses mains sur son tablier et hoche la tête. Elle est soulagée qu’il la prenne au sérieux, et qu’elle ne doive pas expliquer plus en détail ce qu’elle faisait là. Mettre des mots sur une bête impression lui semble presque insurmontable.
— Montre-moi exactement où.
Lorsqu’ils arrivent près du panneau d’avertissement, elle s’arrête net et pointe du doigt l’endroit où elle a aperçu l’objet. L’épicier s’avance légèrement, plissant les yeux. Il n’a pas besoin d’aller très loin pour comprendre.
Il recule immédiatement et se tourne vers Aïda, plus grave que jamais.
— Tu as bien fait de venir me voir, dit-il en sortant son téléphone.
Elle l’observe composer un numéro et parler rapidement à quelqu’un. Il mentionne l’objet suspect, sa position, et le fait qu’un panneau de danger a déjà été installé ici.
— Ils vont envoyer quelqu’un pour vérifier, explique-t-il en raccrochant. On ne sait jamais.
Aïda serre les mains contre elle, pas certaine de savoir comment elle doit se sentir. Soulagée ? Inquiète ? Est-ce qu’elle a bien fait ? Est-ce que ce n’était pas exagéré ? Elle détesterait avoir fait tout un cinéma pour rien. Déranger tant de gens pour un vulgaire déchet.
— Et si ce n’est rien ? demande-t-elle d’une voix plus faible qu’elle ne l’aurait voulu.
— Alors ce n’est rien. Mais si c’est quelque chose… tu auras peut-être évité un accident.
Aïda ne répond pas tout de suite. Son regard retourne une dernière fois vers le terrain vague. Elle pense aux enfants qui jouent dans le quartier, aux passants qui auraient pu traverser cet endroit sans y prêter attention.
Finalement, elle inspire profondément et redresse les épaules.
Elle préfère avoir eu l’air idiote une seconde… plutôt que de regretter toute une vie.
Que fait-elle ?
Handicap International asbl | Rue de l’Arbre Bénit 44 - bte 1 | 1050 Bruxelles |
[email protected] | Numéro d’entreprise : BE0432235661
IBAN : BE80 0000 0000 7777 | BIC : GEBABEBB