Fuir et n'oublier personne
Les personnes handicapées sont souvent doublement touchées par les conflits.

Andrii est ukrainien et a perdu sa jambe gauche à la suite d'un bombardement dans la région de Donetsk. Il s'est enfui avec sa femme et sa belle-mère et fait de la kinésithérapie avec Yevhen, kinésithérapeute de Handicap International. | © M.MONIER / HI
Être obligé de tout laisser derrière soi pour partir vers l’inconnu. C'est la dure réalité pour 122 millions de personnes dans le monde aujourd’hui. Ce chiffre est trois fois plus élevé qu'il ne l’était il y a 12 ans. Dans chaque situation, la fuite s'accompagne de multiples défis. Les difficultés pour les personnes handicapées sont encore plus nombreuses.
« Nous avons marché pendant trois jours sans savoir
où nous arriverions. Sur le chemin, je voyais toujours les autres marcher devant moi, je restais derrière. J'avais peur et je pensais que j'allais mourir. Je n'arrêtais pas d'entendre des coups de feu et des explosions. » Espoir avait 18 ans quand il a dû fuir sa ville natale de Kitshanga, dans l'est du Congo. Un an plus tôt, il a perdu sa jambe droite dans l'explosion d'une bombe oubliée. Un jour, un groupe armé a envahi son village pour y faire un massacre. Une seule option pour survivre : fuir. Mais son handicap physique a rendu le voyage extrêmement difficile.
Lorsque des personnes handicapées sont forcées de fuir, elles rencontrent des difficultés disproportionnées. Elles sont souvent abandonnées et rencontrent davantage d'obstacles pour atteindre les camps de réfugiés. 16 % de la population mondiale souffre d'un handicap. Ainsi, près de 20 millions* de personnes forcées de fuir sont en situation de handicap.
Accès restreint aux services de base
Atteindre un lieu sûr est souvent un défi de taille pour les personnes à mobilité réduite ou qui souffrent de handicaps mentaux. Si ces personnes parviennent à atteindre un camp de réfugiés ou un lieu sûr, de nouvelles difficultés se pré-sentent immédiatement à elles. Setera a fui les violences au Myanmar en 2017 et s'est retrouvée avec ses quatre enfants dans le camp de réfugiés de Cox's Bazar, juste de l'autre côté de la frontière, au Bangladesh. Sa fille Ajida est née avec une paralysie cérébrale et a longtemps été dans l’incapacité de se tenir debout ou de faire un pas. Une fois dans le camp de réfugiés, elle devait rester des journées entières à la maison. Elle ne pouvait pas sortir, ni même se laver ou aller aux toilettes. Il n'était donc pas question d'aller à l'école non plus.
« Les personnes handicapées en fuite sont touchées de manière disproportionnée », déclare Sibghatullah Ahmed, directeur de Handicap International Bangladesh. Elles rencontrent plus de difficultés à accéder aux services de base et sont également plus susceptibles d'être exclues de l'éducation et du travail. Elles risquent aussi d'être davantage victimes de violence ou d'exploitation.
Outre les services de base tels que le logement, la nourriture, l'assainissement et les soins de santé, les personnes handicapées ont souvent des besoins supplémentaires qui sont souvent inaccessibles en raison de leur fuite. Les aides à la mobilité telles qu'un fauteuil roulant ou des béquilles, des médicaments spécifiques, de la kiné ... ne sont que quelques exemples de ces besoins.
Sous le radar des organisationsd'aide humanitaire
Handicap International mène des projets dans le monde entier pour aider les personnes handicapées, y compris celles qui se voient forcées de fuir. « Les bombardements font rage depuis plus d’un an à Gaza, la guerre au Soudan a conduit à des déplacements massifs de population, de plus en plus de pays sont frappés par des catastrophes climatiques meurtrières » explique Sophie Allin, spécialiste inclusion chez Handicap International. « Quand nous appor-tons une aide aux sinistrés ou aux personnes touchées par un conflit armé, nous incluons les personnes handicapées, qui trop souvent passent sous les radars des organisations humanitaires. » C’est pourquoi, aujourd’hui, parmi les personnes soutenues par Handicap International, une personne sur quatre est en déplacement.
Au Tchad, l'organisation fournit des soins de réadaptation aux réfugiés soudanais handicapés. Pour Kaltouma (35 ans) et Hasseneih (25 ans), deux sœurs handicapées physiques, la vie dans le camp de réfugiés était extrêmement difficile : « Nous devions ramper pour aller quelque part », dit l'aînée. Ce n'est qu'après avoir reçu un fauteuil roulant de Handicap International qu'elles ont pu se déplacer à nouveau avec dignité. « Nous avons retrouvé notre liberté », témoigne Haseneih. « Nous pouvons rendre visite à des amis, aller au marché et même regarder des matchs de football ! »
La vie au Bangladesh est un peu plus radieuse pour Ajida aussi. Elle a suivi des séances de kinésithérapie, a reçu une canne et des appareils orthopédiques pour ses jambes. Handicap International a également installé une rampe d'accès à son domicile.
Une prise en charge inclusive
Plus près de chez nous, en Allemagne, Handicap International guide les réfugiés en situation de handicap dans le système national de santé. L’ONG met en place un site web, une brochure numérique et des vidéos péda-gogiques – chacune en 9 langues différentes et adaptée aux aveugles et aux malvoyants – ainsi qu'une ligne d'assistance téléphonique. Des sessions d'information en ligne sur les droits des personnes handicapées et des groupes d'entraide sont mises en place.
Handicap International ne se contente pas d'informer, elle souhaite également combler les lacunes de la politique allemande et plaider en faveur d'une meilleure prise en compte des besoins des réfugiés handicapés. En organisant des entretiens avec les acteurs politiques, en publiant des avis d'experts et en organisant des événements de sensi-bilisation, elle souhaite faire en sorte que des changements concrets deviennent réalité.
Mais les défis mondiaux restent considérables. Et Handicap International ne peut pas apporter de solutions à elle seule. C'est pourquoi l'ONG dispense régulièrement des formations aux travailleurs humanitaires sur l'assistance inclusive, qui prend en compte les besoins des réfugiés handicapés. Qu'il s'agisse de procédures d'évacuation adaptées aux personnes aveugles et sourdes, de camps d'accueil uni-versellement accessibles ou d'un soutien adapté lors des processus d'intégration.
* Ce chiffre provient d'estimations selon lesquelles 16% de lapopulation mondiale totale souffre d'un handicap, appliquées aux 122 millions de personnes déplacées dans le monde. Source : HCR.