Gaza: “Je ne vois plus en eux la personne qu'ils étaient.” [Vidéo]
Danila Zizi est la Directrice de Handicap International Palestine. Depuis son bureau à Jérusalem, elle guide son équipe à travers une crise sans précédent.
Les combats violents et la fuite massive des populations, combinés à une frontière très étroitement surveillée entravant l'arrivée des secours ont exacerbé la crise humanitaire déjà précaire dans la Bande de Gaza. Dans ce contexte de guerre, fournir une aide d'urgence devient à la fois un défi logistique et émotionnel majeur. "Je m'efforce toujours de maintenir une clarté d'esprit, car je suis souvent amenée à prendre des décisions dans l'urgence", partage Danila Zizi, Directrice de Handicap International Palestine. Cette situation est loin d’être simple, elle s’inscrit parmi les crises humanitaires les plus graves de notre époque.
Gaza a été au centre de l'actualité pendant un certain temps, mais semble peu à peu s'effacer des médias ces dernières semaines.
« Il demeure cependant important de garder Gaza à la une des journaux. Plus la guerre se prolonge, plus la situation sur le terrain s'aggrave. Les attaques à Khan Yunis et dans la région centrale se poursuivent, avec des bombardements toujours en cours. Chaque jour, des ordres d’évacuation sont émis dans la région sud. 80 % des personnes déplacées, soit plus d'un million de personnes, vivent déjà dans le sud de Gaza. Des milliers de personnes continuent d'arriver. Pire encore, nous n’avons pas assez de nourriture, ni de soins médicaux. De plus, par faute de logements adéquats, des milliers de personnes vivent dans la rue. »
Comment fournir de l'aide humanitaire en temps de guerre ?
« Handicap International dispose d'un programme de préparation depuis de nombreuses années - qui était encore en vigueur au début de la guerre - qui a préparé 300 volontaires à être mobilisés en cas d'hostilité. Tous ces volontaires ont été stratégiquement sélectionnés en fonction de leur proximité avec les refuges. Ceci afin d'éviter les déplacements et les risques de sécurité qui en découlent.
À ce stade [de la guerre], bien sûr, tout a un peu changé. Nos stocks initiaux d'aide humanitaire ont été épuisés. Nous avons fourni tout ce que nous avions. Les volontaires ont dû se déplacer, ainsi que notre personnel, du nord au sud. La situation est donc différente. Aujourd’hui, nous opérons à Gaza, principalement à partir d'un bureau situé à Rafah. Nous y avons loué un nouveau bureau où l'équipe s'est regroupée pour poursuivre le travail. Il y a un minimum de carburant, d’électricité et d’Internet. Il y a donc peu de communication pour tout coordonner.
Travailler à Gaza c’est aider mais aussi survivre. Où nos travailleurs humanitaires puisent-ils leur force ?
« Je pense que c'est une question qui devrait leur être posée. J'ai le sentiment qu’ils veulent aider, qu'ils sont vraiment engagés. Ils se sentent travailleurs humanitaires et ils ont les connaissances et les capacités nécessaires pour aider les autres. Certains collègues travaillent avec nous depuis plus de dix ans. Ils sont formés à de nombreux types d'interventions.
Certains collègues ne travaillent pas actuellement en raison de circonstances personnelles et de la situation actuelle. Dans certains cas, également pour des raisons de sécurité parce qu'ils vivent dans des lieux où se déroulent des combats, ce qui les empêche de se déplacer.
Cependant, la majorité d'entre eux ont demandé à travailler. Ils veulent travailler, apporter de l'aide et utiliser leurs compétences pour aider. »
Quel impact émotionnel cela a-t-il sur l'équipe ?
« Cela n'a pas été facile sur le plan émotionnel. Je connais certains collègues depuis 2017. Donc pour moi c’est très stressant et émouvant de les voir changer. Même dans leur apparence physique, dans leurs yeux. Ils ne seront plus jamais les mêmes. Je ne vois plus en eux la personne qu'ils étaient. Tout le monde a changé. Leurs espoirs, leurs aspirations, leurs rêves. Tout a été anéanti. Il n'est donc pas facile de maintenir son poste de travail. Mais nous y parvenons parce que l'équipe est forte. Elle parvient donc toujours à fournir un travail de qualité. Cela ne veut pas dire que nous réprimons nos émotions. Nous savons ce qu'il faut faire et comment le faire. »
Quelle est votre vision d'avenir pour Gaza ?
« 50 % de la bande de Gaza a été détruite ou gravement endommagée. Nous parlons ici d'infrastructures civiles. Il faudra des années pour reconstruire ne serait-ce que les services de base à Gaza. Le niveau précis de contamination explosive actuelle demeure inconnu, mais nécessite une estimation initiale. Ce n'est que la première étape. Une cartographie détaillée, d'éventuelles opérations de déminage et, à terme, une reconstruction seront également nécessaires. L’absence de services de base et d’infrastructures publiques entraîne le déplacement des personnes pendant des mois, voire des années. De plus, il n'y a pas d'accès aux hôpitaux. Je crois qu'il ne reste plus que six hôpitaux pleinement opérationnels dans toute la bande de Gaza, y compris les hôpitaux de campagne récemment construits. Il n’y a pas d’école, car l’école est utilisée comme centre de refuge. Il n'y a pas de centre de réadaptation, ni d'infrastructure médicale. Il est absolument impossible de fournir de l’eau potable à l’ensemble de la population. Il n’y a qu’une seule usine de dessalement dans le sud et elle est très petite. Il faudra des mois et des années pour tout reconstruire. »
Quels sont les projets de Handicap International Palestine ?
« Nous avons étendu toutes nos activités de réadaptation dans la bande de Gaza. Nous voulons également développer nos activités de sensibilisation aux dangers des explosifs. Nous voulons éventuellement, dès que nous le pourrons, nous engager dans le déminage des explosifs dans la bande de Gaza. Cela se fera dans un second temps, lorsque les circonstances le permettront. Nous développons également nos activités dans le domaine du soutien psychologique, des propositions supplémentaires, des mesures de protection, ... Concrètement, nous avons sans cesse développé nos activités dans la bande de Gaza et nous sommes prêts à en faire davantage. »