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Crise au Sahel: population affamée, terres mortelles

Mines et autres armes
Sénégal

L’équipe de Handicap International en Casamance – une région du Sénégal – connaît parfaitement les terres du sud du pays. Ces 23 personnes passent une bonne partie de leur temps à genoux pour inspecter les chemins abandonnés de cette région, ses champs et ses vergers. Le sol où nous travaillons est plus riche que dans d’autres zones du Sahel, idéal pour les cultures ou pour nourrir des animaux. La Casamance est même considérée comme le grenier du pays.

image of a dangerous zone marking in a mine area in senegal

Blog de Jean-François Lepetit, responsable de mission pour Handicap International en Casamance (Sénégal), publié dans le Huffington Post.

L’équipe de Handicap International en Casamance – une région du Sénégal – connaît parfaitement les terres du sud du pays. Ces 23 personnes passent une bonne partie de leur temps à genoux pour inspecter les chemins abandonnés de cette région, ses champs et ses vergers. Le sol où nous travaillons est plus riche que dans d’autres zones du Sahel, idéal pour les cultures ou pour nourrir des animaux. La Casamance est même considérée comme le grenier du pays.

Pourtant, peu de Sénégalais, peu importe leur faim, osent toucher la terre où nous travaillons. Nous sommes une équipe de déminage. Et nous sommes douloureusement conscients de l’ironie de la crise alimentaire au Sahel : de nombreux hectares de terre fertile sont jonchés de mines antipersonnel et de vestiges de guerre non explosés, les rendant trop dangereux pour y semer quelque chose.

Les mines antipersonnel, les mines anti-véhicule et autres types de munitions demandent juste une légère pression pour exploser. Au Sénégal, elles ont été laissées suite aux affrontements toujours en cours entre les forces régulières et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

Beaucoup de Sénégalais n’osent pas traverser ces champs, alors les cultiver... ! Et les mines ne se trouvent pas seulement dans les champs – nous avons déminé à peine cinq mètres derrière l’école de Gonoum, située au centre du village.

Quand les gens sont touchés par la faim, ils prennent des risques. Elizabeth Nassalan s’était aventurée dans un verger abandonné truffé de mines le 5 septembre 2000. Elle se souvient : « Comme beaucoup d’autres femmes déplacées et vu les conditions de survie très difficiles, j’étais allée dans le verger cueillir des oranges que j’aurais pu vendre au marché pour soutenir mon mari… et ma famille. On nous avait ordonné de ne pas aller là. Ce jour-là, j’ai préféré y aller seule, parce que je pensais que… je pourrais récolter quelque chose, en faisant attention. Malheureusement, ça ne m’a pas empêchée de marcher sur une mine, qui a changé ma vie. » Elle a perdu ses deux jambes dans l’accident. Son mari l’a quittée depuis et elle doit prendre soin de ses enfants, seule.

Nous avons réalisé des actions d’éducation au danger des mines et d’assistance aux victimes au Sénégal depuis 1997. Nous avons mené une étude sur l’impact des mines antipersonnel en 2005-2006, montrant que 93 localités de Casamance étaient polluées par des mines. Ces armes continuent d’affecter 90.000 personnes. Jusqu’à présent, le Sénégal compte plus de 800 victimes de mines, dont 567 civils. Depuis 2008, le travail d’enquête et de déminage de Handicap International a permis au gouvernement de rendre 2500 km² de terrain à la population – plus de deux fois la superficie de la ville de New York.

Etant donné que nous accordons beaucoup d’importance à la pérennité, nous avons réduit le nombre d’employés expatriés pour augmenter celui de notre équipe de démineurs locaux. Dans le même temps, nous recherchons continuellement un maximum d’impact et d’efficacité. Le total des terres que nous avons pu nettoyer a quadruplé depuis 2008, grâce à l’acquisition d’une machine de déminage voilà un an. Cette puissante machine ‘Digger’ nettoie les zones suspectes dix fois plus vite qu’une équipe de démineurs traditionnelle. Nos démineurs jouent toujours un rôle important dans la planification, le fonctionnement et la maintenance du Digger, sans parler des rapports d’enquête et du déminage des endroits que la machine ne peut atteindre.

L’un de nos démineurs locaux, Elizabeth Sambou, déclare qu’elle n’a pas « peur » du travail méticuleux qu’elle doit effectuer : « A cause de la menace posée par ces mines, la population ne peut pas utiliser des zones auxquelles elles ont besoin d’accéder quotidiennement et qui leur permettent de gagner leur vie. Ce sont ces zones qui les nourrissent. »

Heureusement, certains pays du Sahel ont suivi la bonne voie. Le Burkina Faso n’a jamais utilisé, produit ou entreposé des mines, selon l’Observatoire des mines. D’autres, comme la Gambie, annoncent que les zones minées ont été nettoyées.

Pourtant, dans des endroits comme Agadès au Niger, où les prix des denrées alimentaires montent en flèche, Handicap International a mené depuis 2010 des projets pour apprendre à la population, surtout aux femmes et aux enfants, les dangers des mines et engins de guerre non explosés. Dans les écoles, nous exhortons les enfants à rester à l’écart des terres contaminées. Quand ils croisent l’un de ces objets, ils ne doivent jamais l’approcher ou le toucher mais marquer l’endroit et prévenir un adulte. Handicap International aide aussi les personnes victimes de ces armes en leur donnant accès à des soins médicaux et en favorisant leur réinsertion économique et sociale. Nous menons le même type d’actions au Soudan du Sud.

A l’heure actuelle, des millions de personnes craignent de perdre la vie à cause de la faim. Nous ne pensons pas qu’il doit en être ainsi dans les pays où le sol peut être cultivé. Le 15 juin, à l’occasion d’une cérémonie, 22 villages déminés par Handicap International ont pu être rendus à la population. Avec une terre sûre, ils peuvent profiter d’une vie « normale » - une vie qui peut désormais inclure l’agriculture. Ces terres étaient inaccessibles depuis 30 ans.

Sans mines qui menacent leurs corps et leurs âmes. les fermiers ont vite pensé à ce qu'ils allaient pouvoir cultiver dans ces nouvelles parcelles de leur village. Lors de la cérémonie, le Ministre des Affaires Etrangères voyait un espoir de paix en Casamance, appelant à cesser la lutte armée.

D'ici là, il ne fait aucun doute que les démineurs sauront trouver comment entretenir leur motivation afin de poursuivre ce processus de paix et de développement.

Jean-François Lepetit (Chef de Mission en Casamance, Sénégal, Handicap International)

 

Source: The Huffington Post

This blog is part of a series organized by The Huffington Post and the NGO alliance InterAction to call attention to the crisis in the Sahel, a region in sub-Saharan Africa where more than 18 million people face starvation and 1.1 million children under the age of 5 are at risk of dying from acute malnutrition. Click here to read more of HuffPost Impact's coverage of the Sahel and here to find out what InterAction members and others are doing in the Sahel.

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