8 - La danse du PVC
Huitième épisode de notre série de l'été sur les pas de Didier Demey.
Les prothèses improbables de Dorjé. | © HI
Tibet [2005]
J’en ai vues des prothèses improbables…
J’ai vu l’ironie de prothèses fabriquées dans des carcasses d’obus, d’autres sculptées dans un tronc d’arbre et qui ressemblaient plus à une jambe que mes jambes ; ou celles qui, bien que faites avec quelques bouts de rien, respectaient les lois de la biomécanique (et même celles de l’esthétique). J’ai vu des prothèses lourdes comme des chevaux morts, faites de cuir et de métal mal ajustés et de genoux rouillés qui grinçaient à chaque pas ; j’au vu des bouts de bois attachés avec des sangles sous le genou… J’en ai vues, des prothèses improbables… aujourd’hui encore.
Dorjé est amputé des deux jambes, vers leur milieu. Un jour (sans doute parce qu’il en avait marre de se déplacer sur les genoux), il a demandé à un de ses cousins d’aller lui acheter deux bouts de tubes en PVC (de ceux qu’on utilise pour les évacuations d’eau). Le cousin il a dit heu ouais d’accord, mais pour quoi faire ? Pose pas de question, j’en ai marre de marcher sur les rotules, va donc m’acheter des bouts de tubes. Quand le cousin est revenu avec ses tubes, Dorjé les a renforcés avec d’autres bouts de plastique, des cordes ou de la toile de jute ; il y a ajouté deux ronds de caoutchouc à l’une des extrémités, puis s’est enroulé les moignons dans de la peau de yack et les a enfilées. Et il a marché. Pas moins que cela. Deux tubes de PVC à la place des jambes. Et pour nous, il a même dansé, comme aiment à danser les Tibétains (avec les bras qui font des cercles et des mouvements comme les ailes des oiseaux). Avec nos prothèses faites sur mesure, il va s’en aller au bout de 2 heures, en courant, ça ne fait pas de doute.