Concours d'écriture «Réparer des vies»
Soline de Groeve est la grande gagnante du concours d'écriture réalisé en partenariat par Handicap International et Femmes d'Aujourd'hui. Le thème du concours : la réadaptation physique. Grâce à sa plume, Soline s'envolera pour le Cambodge où elle decouvrira les projets de réadaptation de Handicap International.
Soline de Groeve est la grande gagnante du concours d'écriture réalisé en partenariat par Handicap International et Femmes d'Aujourd'hui. Le thème du concours : la réadaptation physique. Grâce à sa plume, Soline s'envolera pour le Cambodge où elle decouvrira les projets de réadaptation de Handicap International. Découvrez sa nouvelle, Stand up.
Stand up
Je m’appelle Noï et j’habite le Cambodge. Ou plutôt Ibrahim et je vis en Afghanistan. A moins que je ne me nomme Idrissa et que je sois malien. Non, ne vous fâchez pas, n’allez pas croire que je me moque de vous. Simplement, je veux vous faire comprendre que mon prénom et mon origine n’ont que peu d’importance dans mon histoire. Enfin… A une petite nuance près, toutefois ! C’est vrai, qu’importe que mon prénom soit Mouloud ou Sun-Yi, mais il y a quand même peu de chance qu’il soit Sébastien, Dorothée ou Dominique ! En l’occurrence, réalisme et exotisme vont de pair. Avouons-le, les noms occidentaux sont denrée rare dans notre clique. Faut vous y faire : l’injustice et la discrimination règnent en maître dans le bas-monde que je fréquente et mon truc en moins, il est généralement réservé aux niakoués, métèques et autres sauvages…
Alors, forcément, nous, les privilégiés, on en profite, on se la pète un peu. Entre nous, on se donne même des petits noms sympas, des sobriquets, quasi des totems scouts. A mon étage, par exemple, deux chambres plus loin que la mienne, il y a « Guibole la Folle ». On l’appelle ainsi parce qu’en plus de sa jambe et de sa famille, la pauvre a un peu perdu la boule. On a aussi un « Papillon », rapport au fait que c’est un grand costaud, qui a des bras grands comme des ailes. Et puis encore un garçon qu’on surnomme « Mauvaise mine ». Pas besoin de vous faire un dessin, pour celui-là, je suppose ! Quant à moi ? Patience, je vous dirai ça plus tard.
La même mésaventure
Mais d’abord, il faut que vous raconte notre histoire à tous. Comme elle est commune, presque banale dirais-je, pas besoin de vous expliquer chaque cas particulier. A chaque fois la même mésaventure ! C’est Ylang qui se rend à l’école, qui est en retard et qui veut prendre un raccourci à travers les rizières. Ou alors c’est Moussa, gardien de troupeau de chèvres de son état, qui doit rattraper une bête qui s’est échappée. Ou Nassera, qui revient du puits et qui veut gagner quelques mètres en traversant les champs. Sans oublier Gwendoline, qui cherchait un endroit où elle aurait enfin du réseau pour son I-Phone dernier cri. Non, là, je déconne !
Notez bien que ce genre d’accident arrive rarement à des indiens sur le sentier de la guerre. Celle-là, il y a longtemps qu’elle est finie et qu’on l’a gagnée ou perdue. Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas que la hache de guerre qu’on a enterrée. Avec elle, ou avant elle, pour être exact, il y a eu des milliers de petites mécaniques qu’on a semées un peu partout. Et elles, elles ne savent pas que les combats sont terminés. On ne leur en a rien dit. Un peu comme les soldats japonais qu’on a retrouvés dans leurs atolls des années après la fin de la deuxième Guerre Mondiale et qui ignoraient que l’armistice avait été signé depuis belle lurette. Des années après, ces chouettes machines sont toujours sur le qui-vive. Pas d’obsolescence programmée pour ces trucs-là. Alors, quand un maladroit a la malencontreuse idée de les réveiller brusquement… Que ce soit le pied gauche ou le pied droit, pas de chance ! Un petit clic et ça repart plus. Mauvais pied, mauvais œil, tu te chopes illico une mine de déterrée.
Bon, parfois, ça ne dure pas. La décharge est trop forte, la victime trop petite, les secours trop lents, le sang qui s’écoule trop rapide… Bref, une addition de « plus » qui donne un grand « moins » au final. Mais souvent, tu en réchappes. Pas au complet, bien sûr. Où serait l’intérêt de ces engins ? Tu survis, mais avec un morceau qui s’est fait la belle : un pied, deux pieds, une demi-jambe, une jambe entière, deux jambes… Je m’arrête là parce que si je remonte encore, ça va devenir scabreux !
Robocop ou Terminator?
Alors, si t’as un peu de bol dans ton malheur, tu prends ton ticket pour un long voyage loin de chez toi, dans un dispensaire semblable à celui-ci, par exemple. On te soigne, on te bichonne, on t’épaule et, si possible, on te rafistole. Ça, c’est l’instant magique. T’es arrivé ici en demi-portion, t’en ressors comme Robocop ou Terminator. Ou comme le héros d’un vieux feuilleton, "L’homme qui valait trois milliards". C’est une image, bien sûr. Tu penses bien que si ça coûtait autant pour nous raccommoder, je ne serais pas là pour t’en parler. Les trois bâtons, ils sont partis dans l’achat de la saloperie qui t’a rendu estropié, avec ses milliers de petites sœurs. Pour le reste, c’est « A votre bon cœur, M’sieurs-dames, et prothésez-nous du mal ! ».
Voilà, c’est mon parcours dans les grandes lignes. C’est celui de milliers d’autres malchanceux comme ma pomme. Mais on ne se plaint pas trop. On a peut-être perdu un bout de chair dans l’histoire, mais notre espoir et notre avenir ne se sont pas envolés en même temps. Sûr, ce n’est pas facile tous les jours, il nous reste pas mal d’obstacles à surmonter. Apprendre à remarcher avec ce truc, par exemple. Je vous laisse imaginer le nombre de fois que je me suis cassé la figure. Même que je me disais qu’avoir une prothèse, ça me faisait une belle jambe ! Surtout qu’ils auraient tout de même pu m’en donner une rouge vif, une guibole Ferrari ! Ça m’aurait facilité les choses, non ? Franchement, on n’est pas aidé. Alors, les autres, ils se marraient et, à me voir boiter et chavirer sans arrêt, ils m’ont surnommé « Tempête en mer ». Bonjour le pseudo pour un enfant du désert comme moi !
Si tout va bien, d’ici la fin de l’année, je sortirai d’ici. Je vais pouvoir me lancer dans une autre aventure. C’est à l’atelier-théâtre auquel j’ai participé que m’est venue l’idée. L’animateur m’a dit que j’avais une bonne répartie, le sens de l’impro et une bouille sympa. Alors, pourquoi pas ? Après tout, en France, il y a bien un comique à qui il manque une main et un chanteur qui fait du slam sans quitter sa béquille. On me fera bien une petite place, non ? De toutes façons, après ce que j’ai vécu, tu penses bien que tout ce qui viendra sera cadeau. Quel plus belle revanche que de me lancer dans le stand up ? Debout ? Oui mon gars, debout et bien vivant !
Découvrez les textes des autres gagnants
La lumière, Nicolas Poloczek
Khata et les fleurs de lotus, Anne-Sophie Vanderbeck
Le vol du coq, Catherine Deschepper
Comme un goût de papaye, Antoine Davio
Histoire d'une riremerciement, Justine Lalot
Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International
En partenariat avec Femmes d'Aujourd'hui et Nostalgie