La croisade de Sladjan et Dusica
Vendredi 30 mai 2008, les 109 Etats qui ont participé à la Conférence de Dublin sur les armes à sous-munitions ont formellement adopté le traité interdisant ces armes. Il sera signé à Oslo en décembre 2008. Le traité interdira les armes à sous-munitions, organisera leur destruction et assurera qu'une assistance complète soit fournie aux victimes. Une victoire énorme pour tous les opposants à cette arme. Portrait de l'un de leur porte-parole.
« Si je dois avoir un accident, j’espère ne pas y survivre ». C’était le souhait exprimé par Sladjan Vuckovic lorsqu’il avait expliqué son métier à son épouse, Dusica. A l’hôpital, quelques jours après l’accident, Dusica a trouvé les mots plus forts que la mort et le désespoir : « Désormais, je serai tes bras ». Elle avait déjà compris qu’en explosant, la sous-munition n’avait pas seulement mutilé son mari. Elle avait aussi changé le cours de leur vie, à elle et à leurs enfants.
Nous sommes en 1999. Au sud de la Serbie, les bombardements de l’Otan font rage. Dans ce chaos, des démineurs prennent tous les risques avec un seul objectif : sauver un maximum de civils. Le danger que représentent les sous-munitions non explosées dans ces zones d’habitation est énorme. Parmi ces hommes, Sladjan.
Ce 25 avril, la journée a été dure. Avec son équipe, Sladjan a déjà pu désamorcer 106 sous-munitions. Le rythme de travail est harassant et le moindre relâchement peut être fatal. « C’est pour cette raison que j’ai autorisé mes assistants à rentrer chez eux après cette longue journée, explique Sladjan. Et c’est dans une solitude inhabituelle que je me suis approché de la 107e sous-munition, une BLU-97 américaine. »
Cette sous-munition, Sladjan ne la touchera même pas. La vibration causée par ses pas a probablement suffi à enclencher le mécanisme extrêmement sensible de l’engin. C’est l’explosion. Le souffle est tel que les colliers que portent Sladjan – une croix et un trèfle à quatre feuilles – sont arrachés. La marque des porte-bonheur offerts par Dusica et leur fille restera imprimée à jamais dans sa peau. Des longs mois qui suivirent, Sladjan retient surtout une grande souffrance. Il a été amputé des deux mains. Sa jambe, abimée également, l’empêche de rester debout longtemps, tandis que son visage garde la marque de l’explosion et qu’il reste sourd d’une oreille. Mais surtout, Sladjan n’ose pas affronter le regard des gens. « Nis est une petite ville, et je ne savais pas comment on allait me regarder. J’étais très nerveux, refusant de sortir. J’avais l’impression que tout le monde m’observait. Je croyais aussi que si j’allais chercher mes enfants à l’école, les autres enfants allaient se moquer d’eux.»
Et puis, il y a tous ces gestes désormais interdits. Les prothèses de Sladjan ne lui permettent pas de porter ses enfants, de s’habiller, ou simplement d’ouvrir la porte pour sortir de chez lui ! Une dépendance difficile à assumer. Mais Sladjan est vivant, et avec le soutien constant de sa famille, il prend conscience de tout ce qu’il peut retirer de cet accident : « Si une sous-munition n’a pas pu me tuer, de quoi devrais-je encore avoir peur ? Aujourd’hui, j’ai compris l’essentiel : ce qui ne me tue pas me rend plus fort ! »
Témoigner au monde entier
Fort… Sladjan l’est sans aucun doute. Malgré ses handicaps, il a choisi de se battre pour que cesse enfin l’usage de ces armes qui tuent et mutilent tant de civils. Il fait désormais partie des Ban Advocates, un groupe de volontaires créé à l’initiative de Handicap International. De Wellington à Dublin, en passant par Paris ou Bruxelles, Sladjan et Dusica sont partout. Ils témoignent durant de longues journées, malgré la difficulté de revenir toujours sur ce moment tragique où leurs vies ont basculé. Ils savent que leur message peut faire la différence, que ce soit devant les représentants des Etats ou les journalistes.
L’objectif des Ban Advocates est clair : l’interdiction des sous-munitions. Un second point essentiel concerne l’assistance aux victimes, qu’il s’agisse des victimes directes ou de leur entourage. « Nous sommes malheureusement bien placés pour montrer l’impact de ces armes. Mon épouse travaille et j’ai donc besoin de l’aide de mes enfants pour accomplir la plupart des gestes simples de la vie. Des tâches qu’ils n’auraient pas eues à assumer sans l’accident.»
L'adoption du traité d'interdiction des sous-munitions à Dublin est bien sûr une victoire importante. Mais il faut aujourd'hui poursuivre le combat pour rallier un maximum d'Etats au traité, et pour veiller au bon respect des dispositions de celui-ci.