Les héros de Gaza - « Depuis octobre, nous avons été déplacés huit fois »
Mohammad Balousha a 41 ans. Il supervise l’approvisionnement chez Handicap International à Gaza. Il explique combien il est difficile d’être humanitaire lorsque l'on est soi-même touché par la violence armée.
Mohammad Balousha | © HI
Peux-tu me parler un peu de ta famille ?
Nous sommes une famille de cinq personnes : Lana, notre fille, est douée pour le dessin et excelle dans ses études, avec les meilleures notes à l'école. Ahmed, notre fils, est passionné de football, de sport et de voitures. Il nous impressionne par sa assiduité à l'école. Enfin, Adam, le petit dernier, est le cœur de notre famille et nous apporte une joie immense.
Avant la guerre, nous vivions dans la partie nord de la ville de Gaza. Nous avions tout le confort nécessaire au bonheur : une grande maison, une belle voiture, un jardin, la possibilité de dîner au restaurant, de visiter des parcs, d'aller au bord de la mer et de voyager à l'occasion.
J'aime mon travail dans la logistique. Je travaille chez Handicap International depuis 11 ans et je suis devenu superviseur des approvisionnements et des achats.
Quels lieux as-tu été contraint de quitter et de fuir depuis le début du conflit ?
Depuis octobre, nous avons été déplacés huit fois. Tout d'abord, nous avons fui dans la ville de Gaza pendant 10 jours après avoir reçu un ordre d’évacuer des forces armées israéliennes. Ensuite, nous avons été déplacés dans la partie sud de la ville et dans le centre (Al-Maghazi) pendant trois semaines, à chaque fois suite à des ordres d'évacuation. Ensuite, nous avons été temporairement relogés au centre de l'UNRWA à Khan Younes pendant une journée, puis nous avons déménagé dans la maison d'un collègue.
Ensuite, nous avons déménagé à l'Association Al-Amal à Rafah, partageant d'abord une chambre avec une autre famille. Plus tard, nous avons déménagé dans un autre endroit, près du bureau de HI à Rafah. Nous avons ensuite déménagé dans un endroit mieux aménagé, où nous avons résidé pendant environ trois mois, jusqu'à ce qu'un nouvel ordre d'évacuation soit donné. De Rafah, nous avons déménagé à Gaza centre, où nous sommes maintenant.
Comment vis-tu le fait de devoir te déplacer continuellement pour trouver refuge ?
Quand on quitte sa maison, on fuit la mort vers l'inconnu. On fuit sous les bombardements et les pilonnages. On se sent menacé de mort. Pendant les déplacements, j'ai regardé les visages de mes enfants, j'y ai vu la tristesse et l'oppression, et j'ai vu en moi l'incapacité de leur donner la sécurité. Franchement, être déplacé, c’est le pire qu'une personne puisse ressentir, car il est mêlé de faiblesse, d'humiliation et de peur.
Chaque fois, j'essaie de leur redonner de l'espoir en leur disant que c'est la dernière fois que nous fuyons, et que la prochaine fois que nous déménagerons, ce sera pour notre maison à nous, ce qui ne saurait tarder. Au fond de moi, je sais que ce n'est pas vrai, mais je le dis pour qu'ils gardent espoir.
Comment parviens-tu à survivre dans une telle situation ?
Tous les services se sont effondrés. L'eau et la nourriture ne peuvent être trouvées qu'au marché noir, à un prix élevé, parfois trois fois plus cher, quand vous trouvez ce dont vous avez besoin ! Les hôpitaux ne répondent qu’aux urgences et il n'y a pas de soins médicaux complets. L’anémie de ma femme s'est aggravée en raison de la pénurie d'aliments sains et de médicaments. Elle s'est évanouie quatre fois depuis le conflit. Les médecins étaient débordés et incapables de lui apporter la moindre aide.
Mes enfants et les autres membres de ma famille sont en état de choc. Ils ont peur et souffrent de la perte de sécurité et d'anxiété chronique. Je leur parle constamment et j’essaie de trouver tous les moyens pour leur faire oublier la dure réalité.
Comment réussis-tu à combiner ces défis avec ton rôle de travailleur humanitaire ?
Nous vivons maintenant dans les locaux de Handicap International, cela fait partie des consignes de sécurité. Nous n'avons donc plus besoin de transport pour venir au bureau.
L'impossibilité de subvenir aux besoins de ma famille affecte ma capacité à travailler. Il est difficile de concilier le travail et les responsabilités familiales, car subvenir aux besoins de la famille demande des efforts, ce qui a un impact sur mes capacités physiques et mentales. Je suis constamment inquiet. Si la famille veut préparer de la nourriture pour les enfants, je dois allumer le bois pour la cuisson et rester avec eux jusqu'à ce que la préparation de la nourriture soit terminée (pour prévenir tout accident domestique). Je dois également apporter un soutien psychologique à la famille, en essayant de donner un sentiment de sécurité et en veillant à ce qu'elle sente que je suis toujours là pour elle.
Parviens-tu à garder espoir ?
Mon espoir pour l'avenir est de m'installer avec ma famille et de voir le sentiment de sécurité dans leurs yeux. Si je pouvais partager un message avec la communauté internationale, ce serait celui-ci : en tant que civils, nous ne méritons pas une telle cruauté, simplement parce que nous vivons dans une zone de conflit. Nous méritons de vivre comme les autres êtres humains.
Les ONG qui visent à soutenir les personnes sur le terrain sont confrontées à un chaos considérable. L'aide ne parvient pas toujours à ceux qui en ont besoin en raison d'une organisation difficile, de l'insécurité et du chaos. J'espère que le monde ne s'habituera jamais à ce qui se passe.