Transformer les ruines en immeubles accessibles
Erika Trabucco est spécialiste de la reconstruction et la mise en accessibilité des bâtiments pour Handicap International. De mars 2015 à avril 2016, cette architecte a travaillé dans la bande de Gaza où elle a notamment contribué à la reconstruction d’un hôpital spécialisé dans la prise en charge des personnes handicapées en réutilisant des matérieux recyclés. Elle explique les défis qu'elle a rencontré.
Erika Trabucco est spécialiste de la reconstruction et la mise en accessibilité des bâtiments pour Handicap International. De mars 2015 à avril 2016, cette architecte a travaillé dans la bande de Gaza où elle a notamment contribué à la reconstruction d’un hôpital spécialisé dans la prise en charge des personnes handicapées en réutilisant des matérieux recyclés. Elle explique les défis qu'elle a rencontré.
A quoi ressemblait la bande de Gaza à ton arrivée ?
Gaza n’a pas été entièrement détruite mais certains quartiers du Sud et de l’Est de Gaza ont subi d’importants dégâts à la suite du conflit de juillet 2014. De nombreux bâtiments ont été sérieusement endommagés avec d’importantes conséquences sur les conditions de vie des habitants. 180 000 personnes ont quitté leurs maisons pour fuir le conflit ; près de deux ans après, beaucoup de familles n’ont toujours pas pu rentrer chez elles.
Quelle a été ta mission ?
Je suis arrivée en mars 2015 et notre priorité était de réhabiliter et de rendre accessibles les infrastructures essentielles dédiées aux personnes handicapées vivant dans la bande de Gaza. Par exemple, le conflit d’août 2014 a dévasté un complexe comprenant une école et un hôpital à Gaza City. L’hôpital offrait des services de réadaptation physique, entre autres, à près de 14.000 personnes handicapées. Nous avons entrepris de le réhabiliter entièrement. Aujourd’hui, il est de nouveau opérationnel.
L’autre aspect de ma mission, le plus important peut-être, était de renforcer l’accessibilité des bâtiments publics ainsi que de maisons privées pour les personnes handicapées vivant dans la bande de Gaza en formant les ingénieurs et le personnel des entreprises de construction.
De plus, l’un des problèmes majeurs réside dans la difficulté de s’approvisionner en matériaux de construction, comme le ciment. Les entreprises de constructions sont extrêmement dépendantes des importations, qui sont particulièrement chères et nécessitent des procédures très longues avant d’obtenir l’autorisation d’entrer sur le territoire de la bande de Gaza. Pour la reconstruction de la clinique, nous avons décidé de nous approvisionner exclusivement sur le marché local. Nous avons aussi voulu explorer sur une échelle mineure la possibilité de réutiliser des matériaux recyclés pour la réalisation de petits bâtiments.
Quelles ressources étaient disponibles sur place ?
Il y avait évidemment la réutilisation de techniques existantes, comme les murs en terre ou en sacs de sable… Je voulais aussi explorer toutes les ressources provenant des bâtiments détruits par le conflit.
On peut recréer des murs en « recyclant » les gravats par exemple. Ensuite, il y a les déchets, des pneus usés, des bouteilles en plastique vide... Réutiliser les déchets comme matériaux de construction pourrait contribuer à ancrer le recyclage dans une zone souvent très polluée.
A-t-il été difficile de sensibiliser les techniciens sur l’accessibilité et l’utilisation de matériaux recyclés ?
On a sensibilisé les entreprises du bâtiment aux normes de construction et d’accessibilité, qui sont notamment mentionnées dans la loi palestinienne sur les droits des personnes handicapées de 1999. Cette loi est malheureusement très peu respectée, mais les techniciens formés ont montré un fort intérêt pour le sujet et je suis optimiste : ils seront plus attentifs aux contraintes des personnes handicapées.
Nous avons aussi fait un pari sur l’avenir. Handicap International a organisé un atelier avec 70 étudiants en génie civil de l’Université de Palestine, avec autant de femmes que de garçons. Nous les avons formés aux normes d’accessibilité en leur faisant utiliser des gravats et des produits recyclés. Ils ont notamment construit un pavillon témoin qui montre que des technologies différentes sont également utilisables à Gaza, et que l’accessibilité peut être atteinte, même avec un budget réduit et des moyens limités.
Quels ont été les effets positifs de ce travail ?
Aujourd’hui, l’accessibilité n’est clairement pas une priorité pour les entreprises de construction de la bande de Gaza. Avec la sensibilisation des ingénieurs actuels et futurs, je pense qu’on pourra améliorer cet état de fait. L’atelier a eu énormément de retombées positives, ne serait-ce que chez les élèves.
Au niveau de la méthode de travail, le recyclage des déchets et des gravats dans la construction permet de réaliser des ouvrages à moindre frais. Pour de petits ouvrages, c’est l’une des solutions les plus efficaces que je connaisse. Par exemple, dans le cadre du projet, Handicap International a construit une aire de jeu pour les enfants handicapés dans une école spécialisée pour les enfants handicapés à Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza.
Dans le contexte particulier de Gaza, cela pourrait permettre aux personnes, surtout les plus démunies, d’avoir accès à des matériaux de construction plus facilement, plus rapidement aussi. Cela renforce leur capacité de réaction. Ils pourraient construire ou reconstruire de petits bâtiments en autonomie, sans devoir acheter trop de matériaux et sans devoir nécessairement se référer à une entreprise.
Enfin, sur le plan professionnel, cette expérience dans la bande de Gaza m’a permis de tirer de nombreux enseignements. On devrait pouvoir répliquer ces méthodes de construction dans d’autres contextes, des pays affectés par des catastrophes naturelles par exemple.