«Le défi après le séisme à Haïti reste immense »
Interview avec Patrick Senia, directeur des opérations de développement à Haïti
Vous arrivez pour renforcer le volet développement de notre action en Haïti ; cela signifie-t-il que l’urgence est derrière nous ?
" On aimerait que ce soit le cas, mais malheureusement non. Haïti est un pays particulier, marqué par des crises chroniques. L’urgence du tremblement de terre est certes derrière nous bien que des stigmates existent encore (plus de 500.000 personnes sont encore dans des camps de déplacés). Mais d’autres urgences sont latentes : l’épidémie de choléras n’est pas endiguée, la menace des cyclones est récurrente, des inondations et glissements de terrain à plus ou moins grande échelle surviennent ici et la dans le pays. On ne peut pas nier que le risque d’un nouveau tremblement de terre est réel, la terre a encore tremblé la semaine dernière à quelques kilomètres de Port-au-Prince. Donc les activités d’urgence se poursuivent, même si la stratégie globale de l’intervention a évolué et qu’il s’agit plus de préparer les populations afin de minimiser l’impact humain de crises à venir, que de secourir des blessés.
En revanche, nous avons effectivement atteint une sorte de palier, qui nous permet de voir plus loin et de mettre en place des actions propres au développement du pays. Ce que nous faisons actuellement vient donc prolonger le travail effectué ces deux dernières années, afin de rendre les efforts fournis pérennes et ancrés auprès d’organisations haïtiennes (Etat ou société civile). Par exemple, le centre de rééducation fonctionnelle (CRF) ouvert par l’association pour venir en aide aux victimes du séisme (aux personnes amputées notamment) a été transféré en novembre à nos équipes développement qui préparent dès à présent le transfert des services à des organisations locales. L’enjeu est de taille, nous espérons ainsi garantir que ces services continuent à bénéficier à l’ensemble de la population, au-delà des seules victimes du séisme (par exemples des enfants souffrants d’incapacité motrice cérébrale - IMC). "
A ce stade, quels sont les besoins de la population ?
" Les besoins varient énormément selon les zones et les populations concernées. Dans la capitale, Port-au-Prince ils sont immenses : le chômage, qui frappe particulièrement les jeunes, l’inflation du prix des denrées essentielles, l’insécurité, l’accès à l’eau depuis l’arrêt des distributions, l’accès à l’éducation en cette période de rentrée des classes - limité malgré les efforts du gouvernement. Dans ce contexte de pauvreté généralisée, la situation des personnes handicapées est encore plus alarmante et leurs besoins élémentaires ne sont souvent pas couverts (boire, manger, se loger, se soigner, avoir accès à l’appareillage, être en sécurité). Beaucoup d’entre elles sont dépendantes de l’aide de leur communauté et il n’est pas rare de rencontrer des personnes handicapées qui peinent à se nourrir ne serait-ce qu’une fois par jour. La situation est d’autant plus préoccupante que de nombreuses ONG qui sont intervenues lors de l’après tremblement de terre sont en train de quitter le pays ce qui veut dire que les haïtiens qui travaillent pour ces organisations perdent leur revenu et que l’offre de services se réduit pour la population. C’est donc une étape difficile. "
Pour combien de temps encore l’intervention de la communauté international sera-t-elle nécessaire ?
" Cela dépend en fait de chaque acteur et de l’objectif qu’il se fixe. Certaines organisations sont d’ailleurs déjà reparties. Pour notre part, nous avons été extrêmement présents dès les premiers jours, dans les opérations d’urgence et c’était indispensable, mais il serait irresponsable de s’en tenir là. Notre objectif est que les personnes handicapées et vulnérables - qu’elles aient été victimes du tremblement de terre ou non - soient considérées et bien prises en charge, dans des situations de catastrophe naturelles comme au quotidien. Pour cela, nous allons renforcer les capacités des organisations locales afin qu’elles puissent offrir les services nécessaires (et en veillant à ce le coût de l’accès aux soins ou l’absence de services dans certaines régions ne créent des discriminations).
Cela passe d’abord par la formation, par une implication plus forte des partenaires (qui sont les garants sur la durée des résultats des projets développés), et par l’appui à l’élaboration de politiques publiques. Il est difficile de dire dès aujourd’hui le temps que cela prendra. Ca dépendra des capacités des autorités et des organisations locales à prendre en charge petit à petit les services qu’offrent les ONG et à intégrer le coût de ces services au budget de l’Etat. Mais Haïti génère peu de ressources et si l’aide internationale, comme c’est souvent le cas, venait à se tarir trop tôt on risquerait de voir une situation grave s’empirer voire s’enflammer (manifestation, conflits de rues,…). Handicap International souhaite poursuivre ses activités en Haïti jusqu’à ce que les personnes handicapées accèdent à leurs droits. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais nous sommes déterminés à ne pas abandonner avant d’avoir atteint cet objectif. "