Mali: «Ne faisons pas des personnes handicapées les laissés-pour-compte de l'aide humanitaire»
"Lorsque je suis arrivé à la mairie, les camions étaient déjà arrivés avec les vivres. Je savais aussitôt que les personnes handicapées seraient exclues de cette distribution, car elles n'étaient pas inscrites sur la liste du conseil municipal, une règle exigée par les autorités pour recevoir de la nourriture. J'ai vu un ami retourner à la maison les mains vides, sans un pot de millet !"
Article dans Le Huffington Post par Marc Vaernewyck, Directeur de Programme, Handicap International Mali
Les camions de vivres arrivent à Rharous, une commune du Mali dans la région de Tombouctou, pendant la semaine du 11 juin. Ils soulèvent la poussière alors qu'ils s'arrêtent en face d'une foule - toute une communauté privée de nourriture, sous la menace de la famine.
Mais regardez de plus près. Qui n'est pas présent pour accueillir les camions de vivres? Ce sont les personnes handicapées ou vulnérables qui, privés d'accès à l'aide alimentaire, subissent la souffrance de la faim.. Depuis une trentaine d'années, cette situation se répète. C'est précisément ce qui se passe en ce moment dans la région du Sahel en Afrique de l'Ouest.
Dans mon travail, je l'ai vu de tout près. Tout comme Almounzer Ag Backo, le président de la Fédération des associations de personnes handicapées à Gourma Rhaous, au Mali, qui assista aux distributions alimentaires à Hanzakoma entre le 15 et 17 juin. Voici ce qu'il m'a raconté :
« Lorsque je suis arrivé à la mairie, le lieu désigné par les autorités locales pour la distribution, les camions étaient déjà arrivés avec les vivres. Je savais aussitôt que les personnes handicapées seraient exclues de cette distribution, car elles n'étaient pas inscrites sur la liste du conseil municipal, une règle exigée par les autorités pour recevoir de la nourriture. J'ai vu un ami retourner à la maison les mains vides, sans un pot de millet ! Le lendemain, il est revenu, accompagné de quelqu'un de Handicap International. Ils ont parlé aux chefs qui ne comprenaient pas sa situation. Enfin, il a pu recevoir sa ration. A présent, il fallait qu'il ramène chez lui les 50 kilos de millet, 5 litres d'huile et ainsi de suite. Il est aveugle, sa femme et lui n'ont pas de moyen de transport ; on a donc dû demander l'assistance d'un voisin pour apporter les vivres chez lui à Moiloa Rharous. »
Plusieurs millions de personnes sont comme cet ami d'Almounzer - ce sont des gens qui ne peuvent pas se rendre aux centres de distribution alimentaire, qui peuvent se déplacer d'un lieu à l'autre. Certains ont des handicaps physiques ou mentaux et ils sont cachés par leur famille. Oui, cela arrive. D'autres n'ont pas les prothèses pour pouvoir marcher, ou les fauteuils roulants pour se déplacer. Des femmes à quelques semaines de l'accouchement, les personnes âgées à la santé trop fragile ne peuvent faire le trajet.
Cette exclusion rend la désastreuse crise alimentaire au Sahel encore plus insoutenable. Sans accès à la nourriture gratuite ou à des prix alimentaires modérés, ces personnes vulnérables sont en danger de mourir de faim. Au Mali, la situation est encore plus précaire, car ceux qui le peuvent fuient les combats au nord du pays. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 320 000 Maliens ont déjà été déplacés. Ils se réfugient en masse dans les pays voisins, eux-mêmes affamés, mais où ils peuvent accéder à l'aide alimentaire en sécurité, quoique jamais suffisante.
La pénurie alimentaire reste critique. Le Mali est actuellement en « période de soudure », pendant laquelle les gens doivent manger les graines qui auraient dû servir de semences au mois de juillet. De plus, les établissements de santé que nous gérons au nord du Mali ont été pillés et doivent être à nouveau équipés avant d'être rouverts.
Les campagnes de vaccination ont cessé ; la saison des pluies vient d'arriver, entrainant un risque accru d'épidémies. Et avec des centaines de milliers de personnes déplacées par le conflit, , il est nécessaire, plus que jamais, de leur expliquer les risques liés aux mines et munitions non explosées. Cependant, ils me disent qu'ils passent des jours entiers sans manger.
On travaille plus fort que jamais pour aider les Maliens à surmonter cette crise humanitaire. On va s'assurer que la mobilisation globale soit inclusive. Nos activités ne sont pas limitées à l'aide alimentaire, ni uniquement au Mali - on travaille dans la région sahélienne depuis plus de 20 ans, avec des projets en cours au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, au Niger, au Sénégal, au sud du Soudan et au Togo.
Mon collègue a conduit l'un des premiers camions à Rharous. On a apporté de la nourriture à tout le monde, pas seulement aux personnes en extrême difficulté qu'on connaissait bien. Mais lorsque cette foule nous a accueillis, on savait très bien qu'il y en avait d'autres encore, des gens invisibles qui avaient besoin de notre aide. Nos équipes allaient de maison en maison pour leur apporter des vivres et pour vérifier leur état de santé. Aussi, sachant que nos programmes allaient se développer, on leur a apporté une bonne nouvelle : nous allions bientôt revenir pour leur donner bien plus que des rations alimentaires.
Marc Vaernewyck, Directeur de Programme, Handicap International Mali
Source: Le Huffington Post