Réadaptation après un séisme : " Une mobilisation rapide est essentielle"
Son expérience personnelle des catastrophes naturelles doit en partie au hasard, puisqu’elle se trouvait en Chine pour une mission courte quand la terre a tremblé dans la province du Sichuan en mai 2008. Mais Graziella Lippolis, Responsable spécialiste de la réadaptation basée à Bruxelles, a souvent apporté son expertise lors des catastrophes naturelles.
Graziella Lippolis, Rehabilitation Manager, examine un patient lors du tremblement de terre au Sichuan. | © HI
Le séisme du Sichuan l'a beaucoup marquée. « Quand tu es sur place, que tu vois une mère chercher la chaussure de sa fille dans un tas de gravats, c'est clair que tu n'en ressors pas indemne. Ces sont des personnes qui ont vraiment tout perdu, elles sont sans nouvelles des membres de leur famille, elles-mêmes sont peut-être blessées... »
Lorsqu'Haïti a été secoué par un tremblement de terre dévastateur en 2010, Graziella était chargée de coordonner l'assistance technique de Handicap International sur l'île depuis Bruxelles. Et elle évoque aussi l’impact du séisme au Népal 5 ans plus tard.
De quelles blessures souffrent les victimes de séisme ?
« Sunil, l’un de nos collègues au Népal, a réalisé une étude pour comparer quels étaient les séquelles physique et psychosociales suite à un séisme et d'autres blessures (comme les accidents de la route) dans le contexte népalais. Grâce à ce travail, nous avons une bonne image des patients pris en charge suite au tremblement de terre. »
« Près de la moitié des patients souffraient de fractures ou de membres disloqués. Le deuxième groupe le plus important se plaignait de douleurs au dos, aux épaules suite à des chutes d’objets. Puis, nous avons tout ce qui était lié aux blessures ouvertes sans spécialement d’atteintes osseuses, ce qui représente 12% des patients. Ensuite, on entre dans séquelles beaucoup plus lourdes : trauma crânien, para- et tétraplégie, amputations, atteintes des nerfs, brûlures ... »
« Pour soigner des fractures fermées, le patient doit généralement être plâtré. S’il s’agit de fractures ouvertes, il faudra poser des fixations. Et dès ce moment, on envisage le suivi à long terme. »
« Je me souviens qu'en Chine, un des gros problèmes que nous rencontrions était que les médecins chinois plaçaient des fixations de telles sortent que les patients étaient immobilisés pendant 6 mois. Mais au bout des 6 mois, quand tu retires la fixation, le patient ne peut plus bouger ! C'était donc tout l'enjeu de faire comprendre aux médecins que la mobilisation précoce est essentielle. C'est une question d’équilibre à trouver entre le temps nécessaire pour la consolidation de la fracture par rapport au risque de séquelles à long terme. »
Quelle est l’approche de Handicap International après un séisme ?
« La priorité va être de travailler avec des partenaires de la santé, ainsi qu'avec le ministère de la Santé : identifier qui sont les acteurs de première ligne de prise en charge des patients afin qu’ils intègrent des éléments de prise en charge précoce. »
« Le deuxième enjeu, c’est la surcharge des hôpitaux. Pour avoir suffisamment de lits, dès que les patients sont stabilisés, ils sont renvoyés chez eux. Mais ils ne retournent pas nécessairement à leur adresse : s'il y a eu un tremblement de terre, les maisons ont été détruites. Il faut donc mettre en place un système de suivi et d’accompagnement de ces patients pour ne pas les perdre dans la nature. »
« Lors de la première phase d'intervention, nous aurons aussi l'enjeu de trouver le personnel de santé capable de prendre en charge ces pathologies. Dans un pays où il y a beaucoup de ressources nationales, comme au Népal, nous pouvons trouver des professionnels, nous assurons une bonne coordination et un suivi entre l'hôpital et les communautés touchées et nous allons surtout accompagner les professionnels. A l’opposé, une catastrophe comme en Haïti, où nous étions dans un tout autre contexte. Là il n’y avait quasi pas de professionnels et donc H.I. a dû envoyer beaucoup d’expatriés pour former des kinésithérapeutes et le personnel infirmier. »
« En Haïti, on avait quand même plus de quatre mille amputés. Handicap International a d'abord fourni des prothèses d'urgence temporaires, parce qu'elles pouvaient être fabriquées plus rapidement. Ensuite nous avons formé un partenaire local pour produire des appareillages orthopédiques plus durables. Avant le tremblement de terre, le pays disposait de six kinésithérapeutes formés seulement, quasiment pas de services d’appareillage. H.I. a donc mis sur pied une formation de base pour les techniciens orthopédistes pour renforcer les capacités des professionnels formés. Pour le ministère de la Santé, la réadaptation ne constituait pas un secteur distinct et ne prévoyait donc pas de formation en réadaptation !
Les autorités ont-elles tiré des leçons de ces catastrophes ?
Le séisme a vraiment été un élément déclencheur dans cette région, car les énormes besoins sont devenus visibles. Un constat général, c’est que les tremblements de terre - malheureusement - ou heureusement pour les personnes qui ont besoin des soins de réadaptation - peuvent déclencher une prise de conscience des autorités de l'importance de soins de réadaptation de qualité dans leur pays.
Est-ce que des solutions innovantes comme la télé-réadaptation peuvent jouer un rôle dans de tels cas ?
« Là où la télé-réadaptation montre son intérêt, c’est justement résoudre le problème de la continuité de la prise en charge. Imaginez-vous habiter dans un petit village au Népal à 10 heures du premier hôpital. Quand vous quittez l’hôpital au bout d’un mois, la télé-réadaptation peut nous aider à garder le contact et assurer le suivi, à pouvoir identifier plus vite les patients à risque, en cas de complication. Et donc pouvoir les prendre en charge plus rapidement.